mercredi 21 février 2018

Passage du Nivôse à Kerguelen


Le Nivose, commandé par le LV Richard Gauthier a fait escale à Kerguelen du 09 au 11 Février puis du 17 au 21.



Présent dans nos eaux pour des opérations de surveillance, le Nivôse avait également pour mission de déposer le 2nd RPIMA dirigé par le Capitaine Foucault Pillet pour la mission « Pétrel » : exercice de traversée terrestre du territoire de Port-Jeanne-d’Arc à Port-aux-Français en autonomie complète pendant une dizaine de jours. A leur arrivée, ils ont été reçus quelques jours pour se reposer sur la base.





Opération d'avitaillement du Nivôse:
  

 

Un échange de bord du personnel du Nivôse a permis de faire découvrir au personnel de la Marine Nationale quelques uns des attraits naturels de l’Archipel tandis que nos équipes s’imprégnaient de l’atmosphère de personnel militaire de la MN « embarqué ». 








Nous avons également profité de l’occasion pour réaliser un exercice conjoint d’évacuation et de prise en charge médicale d’un blessé sur le district.
















Un pli philatélique a été réalisé.

lundi 19 février 2018

Au milieu du basalte, l’incroyable granite de Kerguelen

Les deux frères, rallier du Baty
Programme IPEV – 1077 TALISKER
Damien Guillaume (Université Jean Monnet, Saint-Etienne), Émilie Jarde (CNRS, Rennes) Guillaume Delpech (Université Orsay-Paris Sud), et Marc le Romancer (Université de Bretagne Occidentale, Brest).

Equipe de Talisker 2017/2018
La spécificité de Kerguelen
Kerguelen est un archipel au milieu de l'Océan Austral. Géologiquement, Kerguelen est un vaste plateau océanique anormalement épais au milieu d'une lithosphère océanique.

Une spécificité de la lithosphère est que l'on n'y observe pas de roches granitiques qui sont spécifiques aux lithosphères continentales.
Or, sur la Péninsule Rallier du Baty, on trouve des roches claires, cristallisées, semblables aux granites...
Pourquoi ? …

La structure interne et la composition de la terre
La Terre est constituée de plusieurs "couches" de compositions différentes depuis le centre vers la surface: le noyau, composé de fer essentiellement et d’un peu de nickel; le manteau, dont les deux principaux constituants (hors oxygène) sont le silicium et le magnésium, puis vient le fer; la lithosphère (dont la partie supérieure est la croûte) dont la composition diffère selon qu'elle est océanique (dans l'ordre d'abondance : silicium, aluminium, fer, magnésium) ou continentale (encore plus riche en silicium que la lithosphère océanique, aluminium, puis sodium, potassium).  Cette variation de composition correspond à une répartition des éléments chimiques à l'intérieur de la Terre, avec les éléments les plus lourds au centre et les plus légers vers la surface.

Les minéraux étant constitués d'éléments chimiques, on n'observe pas les mêmes minéraux selon la localisation sur (et dans) la Terre. En particulier, la différence de composition chimique entre les lithosphères océanique et continentale fait que certains minéraux sont plus fréquents dans l'un ou l'autre. Certaines roches, qui sont des assemblages de minéraux, sont donc spécifiques et diffèrent par leur composition selon que l'on se trouve sur un océan (ou un plateau océanique comme à Kerguelen) ou sur un continent.
En simplifiant extrêmement, le basalte est caractéristique des lithosphères océaniques et le granite des lithosphères continentales.

La carte géologique et les principales particularités géologiques de Kerguelen
Elle a été réalisée par le programme Cartoker qui a duré une quizaine d’années en permettant à plusieurs jeunes géologues de parcourir l'archipel durant leurs hivernages pour identifier les roches et les structures géologiques. Le résultat a été synthétisé sous forme d'une carte géologique qui n’a pas encore été publiée. Les travaux menés en parallèle et après le programme Cartoker a permis aussi d'étudier les processus géologiques à l'origine de la formation de Kerguelen et de progresser dans la compréhension de ce "système" particulier.

Presqu’île Joffre
La carte géologique montre la présence de basaltes sur la grande majorité de Kerguelen (80% environ des roches en place). Les basaltes présents à l'affleurement sur Kerguelen se sont mis en place entre 40 et 20 millions d'années, sous forme de coulées de laves empilées les une sur les autres en surface. Formés à partir de la fusion partielle du manteau sous-jacent, ce sont des magmas très chauds (850 à 1000°C lors de leur mise en place) et très liquides qui refroidissent vite au contact de l'air. Ces basaltes sont caractéristiques de la croûte océanique. A Kerguelen, ils forment des "couches" quasi horizontales de quelques mètres d'épaisseur et bien visibles sur les flancs des vallées. Les plateaux correspondent le plus souvent aux surfaces de coulées de basaltes. Entre ces coulées de basalte on observe parfois des niveaux centimétriques à pluri-décimétriques charbonneux avec parfois visibles des empreintes de fougères, de bois, de restes d'animaux (dents de rongeurs), et témoignant de l’existence de forêts sub-tropicales piégées et fossilisées par coulées basaltiques.

La carte géologique montre aussi des formations sédimentaires (la majorité de la moitié Est de Courbet et les fonds de vallées) qui correspondent à l'accumulation des fragments érodés et transportés par les glaciers et les rivières.


Une première particularité de Kerguelen est la présence sur certains sites volcaniques particuliers d'enclaves de manteau. Ce sont des fragments solides du manteau qui ont été arrachés par les laves lors de leur ascension vers la surface. Le plus souvent, ce sont des fragments de quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres constitués de cristaux de plusieurs millimètres verts et translucides comme des tessons de bouteille, accompagnés parfois de cristaux noirs. les sites caractéristiques les plus accessibles sont Pointe Suzanne (en contrebas de la cabane ou sur les différents pointements sur le chemin vers Pointe Suzanne) et le Trièdre (sur le site du relais VHF) mais il est possible d'en trouver un peu partout en regardant vers le sol pendant les trajets...

La deuxième particularité géologique de Kerguelen qui a motivé en partie les études des dernières années, ce sont des formations géologiques granitiques abondantes sur la Péninsule Rallier du Baty. C'est atypique dans le contexte océanique de Kerguelen puisque ces roches sont caractéristiques de la croûte continentale. Associées à ces formations, au moins géographiquement, on observe également des sources chaudes et des fumerolles comparables aux systèmes géothermiques des dorsales océaniques.

Les particularités de la lithosphère de Kerguelen
La croûte océanique qui normalement mesure de 10 à 15 km d’épaisseur, y-compris dans le reste de l’Océan Indien et de l'Océan Austral, est anormalement épaisse sur le Plateau de Kerguelen et atteint une épaisseur de 50 à 70km. Ceci est dû à une activité magmatique très importante et "anormale" dans le manteau sous-jacent pendant une centaine de millions d'années, qui a permis la formation et la mise en place d'une épaisseur considérable de coulées de basaltes, aboutissant à un plateau très épais.

Kerguelen, modèle de formation de lithosphère continentale à partir d’une lithosphère océanique?

C'est ce que l'on pense observer à Kerguelen, en particulier grâce aux complexes magmatiques "granitiques" de la Péninsule Rallier du Baty. Avec une lithosphère très épaisse comme à Kerguelen, le gradient thermique est anormal. Ainsi les roches des parties inférieures de cette lithosphère sont soumises à des conditions de température anormalement élevées pouvant provoquer la fusion partielle à l'origine de magmas particuliers.
Ces magmas ont une composition particulière (plus riche en silicium, très abondant dans les roches de la croûte continentale) et une viscosité supérieure à celle des magmas basaltiques qui sont eux très fluides. Ces magmas n'arrivent donc pas jusqu'à la surface. Ils restent en profondeur, quelques kilomètres sous la surface, ce qui leur permet de cristalliser lentement pour former une variété de roches que l'on connait ailleurs sur Terre dans la lithosphère continentale. 
D'après les travaux menés sur ces formations de Rallier du Baty, ces roches se sont formées entre 13 à 7 millions d'années. C'est l'érosion, en particulier l'érosion glaciaire, qui a permis de mettre à l'affleurement ces roches, en érodant progressivement plusieurs kilomètres de la croûte basaltique de Kerguelen.
« Programme Talisker – IPEV 1077
Talisker s’attache à caractériser les circulations de fluides affectant la lithosphère de Kerguelen à différents niveaux structuraux, depuis le manteau supérieur jusqu’à la surface et à leur migration vers l’océan austral Trois axes seront suivis : caractérisation des paléo fluides ayant circulé dans les roches du manteau ou associés aux mises en places de roches plutoniques, caractérisation des systèmes hydrothermaux actifs et des interactions roches-fluides-biosphère et quantification des flux d’éléments chimiques du contient vers l’océan côtier ».

 Article écrit avec Damien Guillaume.
Photos de Armand Patoir.

mercredi 14 février 2018

Le départ de la Curieuse

A l’issu d’une excellente campagne d’été 2017/2018, la Curieuse et son équipage ont quitté Kerguelen le 14 Février 2018. 




















Le bilan de la campagne est très positif avec 69 jours de campagne et quasi la totalité du programme réalisé.





A l’automne prochain !





mardi 13 février 2018

Les microorganismes qui vivent au chaud – Interview du microbiologiste Marc Le Romancer



Programme IPEV – 1077 TALISKER
Guillaume Damien (Université Jean Monnet Saint-Etienne), Guillaume Delpech (Université Orsay-Paris Sud), Emilie Jarde (CNRS) et Marc le Romancer (Université de Bretagne Occidentale - Brest).

Quel est votre parcours ?
J’ai fait des études de biologie orientées agro-alimentaire, puis je me suis spécialisé en pathologie végétale avec un doctorat de virologie. Tout cela m’a amené un jour à postuler à l’université pour prendre un poste d’enseignant-chercheur en microbiologie et biologie moléculaire.
Je travaille aujourd’hui à l’Université de Brest dans le domaine de la microbiologie.
Qu’est-ce qui vous a amené à Kerguelen ?
Il y a 37 ans, au début de mes études, j’ai lu une petite annonce dans un couloir à l’université sur laquelle il était indiqué que des postes de volontaires à l’aide technique étaient disponibles pour un laboratoire d’algologie de l’université de Paris VI sur Kerguelen. C’était pour travailler sur le programme de René Delépine, dont l’épouse a écrit un certain nombre d’ouvrages de référence sur Kerguelen, comme la toponymie.
Cela a déclenché mon premier séjour, dans le cadre du service national, un hivernage de 14 mois de décembre 1981 à février 1983, la 32ème mission.
Qu’est-ce que vous étudiiez ?
Les grandes algues brunes : Macrocystis pyrifera et Durvillea Antarctica, principalement.
L’idée, à cette époque, était de voir s’il serait possible de valoriser cette biomasse végétale par son exploitation, comme cela est fait traditionnellement en Bretagne nord pour en extraire des carrhaguénanes (composés polysaccharidiques qui servent d’épaississants dans l’industrie agro-alimentaire et cosmétique).
Nous faisions de la récolte d’algues en plongée sous-marine sur plusieurs sites du golfe pour en estimer la biomasse et nous mesurions leur vitesse de croissance et de recolonisation. En campagne d’été, nous avons également estimé par cartographie aérienne, grâce à la présence de 2 hélicoptères alouette, l’étendue des herbiers le long des côtes du golfe du Morbihan. Ces algues ont une croissance assez phénoménale (jusqu’à 10cm/jour) d’où l’idée de valoriser cette biomasse. Toutefois, mettre en place une unité locale de séchage, ou d’extraction, puis la logistique du transport etc… ont dû probablement apparaître comme insuffisamment rentable pour que cette valorisation ne soit jamais mise en application. C’était un des aspects de la recherche, les autres étaient plus fondamentaux, nous nous intéressions aussi aux cycles de reproduction de différentes petites algues rouges, cycles qui n’étaient alors pas totalement connus.
C’est tout l’intérêt d’une mission longue durée qui permet de suivre dans un contexte naturel des organismes végétaux ou animaux dont l’écophysiologie varie selon la saison sur un cycle annuel.
Pouvez-vous me parler un peu de votre hivernage dans les années 80 ?
A l’époque, l’une des différences à priori marquante pendant l’hivernage, c’était l’absence de femmes ; c’était un univers presque exclusivement masculin, au moins en hivernage. Avec le recul, j’ai l’impression que cela n’avait pas vraiment d’incidence sur le déroulement de la mission ou, plus spécifiquement, sur le comportement social en groupe. Mais, il est vrai que lorsque je suis revenu en campagne d’été bien des années après, et que j’ai vu des jeunes femmes sur base pour l’hivernage, je me suis effectivement posé la question « mais comment ça marche ? ». Après plusieurs campagnes d’été, je me rends compte que cette mixité est tout à fait naturelle et c’est bien la marque positive de l’évolution de notre société.  
Dans les années 80, les hivernants scientifiques logeaient de l’autre côté de la base, dans les « Fillods » et j’habitais à B7. Le point de vue que l’on a de la base à partir de B7 est très différent, puisque qu’aujourd’hui le personnel est logé au centre de Port aux Français. Mais c’était aussi peut être source de différence.  B7 était un bâtiment déjà un peu vétuste mais chaud et plutôt « cosy », avec une pièce de vie toute en bois verni.
A cette époque aussi, nous avions reçus deux jeunes chiots donnés par les bateaux russes qui étaient très nombreux à la pêche : un pour la flottille et un pour les scientifiques de B7. Le nôtre s’appelait « Liman » du nom du chalutier Russe qui nous l’avait donné. Un temps révolu.
Est-ce votre hivernage qui vous a fait revenir à Kerguelen ?
Approcher les terres australes est une expérience, surtout intérieure, qui laisse une empreinte si forte qu’elle ne s’estompe sans doute jamais tout à fait.
Comme l’écrit très justement Raymond Rallier du Baty : « la beauté particulière de Kerguelen s’insinue dans les cœurs et vous prend sous son charme, avant de hanter les mémoires des marins qui s’y sont aventurés »
Comme j’étais en mesure de proposer un programme de recherche à l’IPEV dont les locaux se situent juste à côté de mon laboratoire à Brest, c’est ce que j’ai fait au début des années 2000. J’ai eu la surprise d’y retrouver un ancien de Crozet, qui avait hiverné la même année que moi, Yves Frenot, le directeur de l’institut, dont je salue, au passage, l’action majeure et le dévouement constant et sans faille pour les missions scientifiques polaires.
Sur quoi travaillez-vous ?
J’ai depuis longtemps abandonné l’algologie pour travailler aujourd’hui dans un tout autre domaine, la microbiologie des environnements extrêmes. Définir ce que peuvent être les conditions limites dans lesquelles la vie cellulaire peut s’épanouir, ce qui nous permettrait, par exemple, de mieux orienter notre quête d’une vie extra-terrestre, si elle existe. Quelles températures maximales, quelles conditions de pH, de pression les cellules vivantes sont-elles capables de supporter ?
Nous travaillons essentiellement vers le pole chaud : autour des 80-100°C et au-delà de 100°C, là où les fortes pressions hydrostatiques augmentent le point d’ébullition de l’eau et en absence de lumière ou d’oxygène, c’est à dire les conditions originelles dans lesquelles la vie est apparue sur notre planète il y a un peu plus de 3 milliards d’années. Nous trouvons toutes ces conditions réunies au niveau des sources hydrothermales, plus particulièrement sur les dorsales océaniques. Et là, la vie n’a pas besoin de lumière pour se développer car nous sommes dans un écosystème basé sur la chimiosynthèse, où le carbone minéral est transformé en carbone cellulaire par la synthèse purement chimique et le processus d’oxydo-réduction.
Quelles sont les températures, profondeurs extrêmes auxquels peuvent vivre des bactéries de l’extrême ?
Les limites sont aux alentours de 110°C environ, et à des pressions pouvant atteindre 1300 bars (soit sous l’équivalent d’une colonne d’eau de 13 km de profondeur), parfois à un pH d’une acidité extrême voisin de 0. La plupart de ces microorganismes vivent sans oxygène (ce composé est même toxique pour eux).
Comme il est compliqué de travailler à ces grandes profondeurs, nous travaillons aussi sur les environnements côtiers car les sources côtières peuvent être des « fenêtres » en lien physique plus ou moins direct avec les sources hydrothermales profondes, comme sur l’île Saint Paul. A Kerguelen, nous travaillons sur les sources chaudes et les fumerolles, qui remontent superficiellement sur la Péninsule Rallier du Baty, la fameuse « plage du Feu de Joie » des phoquiers, ou encore à Val Travers, sur le plateau central.
Quel est l’intérêt d’étudier ces milieux à Kerguelen ?
C’est une ile totalement isolée au milieu de l’océan et qui n’a aucun contact géologique depuis des dizaines de million d’années avec d’autres terres émergées de l’hémisphère sud. Un écosystème tout à fait propice au développement d’une diversité microbienne unique en son genre, ce qui serait un peu le cas d’après nos analyses moléculaires.
Depuis quand ont commencé vos programmes à Kerguelen ?
Nous avons commencé une étude de faisabilité en 2003. Le premier programme s’appelait : HOTVIR, programme IPEV dont l’objectif était d’étudier les virus et microorganismes hyper thermophiles (qui vivent à très haute température).
Et puis la rencontre sur le terrain des géologues, dont l’intérêt se portait sur le même environnement mais pour d’autres raisons scientifiques, nous a ensuite conduit à mutualiser nos efforts de recherche pour donner naissance au programme que nous menons aujourd’hui : le programme TALISKER qui est l’acronyme de « chemical Transferts Across the LIthoSphere of KERguelen ».
Quelles ont été les conclusions du programme HOTVIR ?
Il existe bel et bien dans les communautés microbiennes de ces sources des lignées de microorganismes totalement inconnues. Ces dernières n’auraient été détectées pour l’instant qu’à Kerguelen, tout comme dans les sources marines du cratère de Saint Paul : ce sont donc aussi des « hot spots » de biodiversité microbienne.
Les analyses se font essentiellement par approche moléculaire sur leur génome, leur ADN. Il n’est pour l’instant pas possible, ou à de rares exceptions, d’étudier ces microorganismes de l’extrême sous forme vivante pour comprendre quel rôle précis ils ont dans ce type d’écosystème. Mais la vie à haute température, sous une forme simplifiée, existe bel et bien.
Et, plus surprenant, ces microorganismes sont accompagnés de virus en grande majorité totalement inconnus et donc nouveaux.
Quel est votre programme actuel ?
Comme dit précédemment, je ne suis plus en charge de mon propre programme. Je me suis associé avec les géologues de Saint Etienne afin d’étudier le lien terre-mer et la nature des fluides géothermiques qui conditionnent l’habitabilité de mes microbes. Cela permet d’avoir des informations sur la composition géochimique des eaux. On a donc fusionné nos deux objectifs scientifiques. Ainsi, nous travaillons de concert sur les mêmes sites et chacun apporte son expertise. 
En ce qui me concerne, lors de cette campagne qui était la dernière du programme, j’ai prélevé de l’eau de sources chaudes dans la vallée Fallot (photo). Nous allons pouvoir explorer la diversité microbienne de celle-ci et voir s’il existe un lien biologique avec les communautés microbiennes des sources qui sont situées sur la façade ouest de Rallier du Baty, le plateau des Fumerolles, de l’autre côté du massif montagneux qui les sépare.
Que dire du cadre de travail de Kerguelen ?
C’est un cadre exceptionnel au niveau géographique. Bien que les moyens techniques soient parfois limités du point de vue conditions de manipulation (en microbiologie, on aime particulièrement travailler dans des conditions d’asepsie ou de stérilité qu’il est très difficile d’obtenir sur le terrain), on a cependant des installations provisoires propices au travail grâce notamment à la logistique efficace de l’IPEV sur le terrain mais également sur base grâce au laboratoire Biomar.
Du point de vue humain, on côtoie aussi des communautés de personnes et des corps de métier très différents, que l’on ne rencontrerait pas ailleurs dans un contexte non contraint (par notre vie en métropole). Aussi, on peut aller facilement discuter et créer des liens avec toutes ces personnes pour un temps plus ou moins long. Parce qu’en en revenant régulièrement en mission, je maperçoit que beaucoup déjà croisé sont également là, présents et fidèles aux Terres Australes : c’est le signe qu’il existe bien une véritable communauté « taafienne ». 
Combien de fois êtes-vous venu ici ?
Depuis le début des années 2000, je suis venu souvent à Kerguelen, peut être 8 ou 9 fois ; je n’ai pas compté !
Pouvez-vous me raconter un bon souvenir de Kerguelen ?
Un souvenir important : La première fois où je suis revenu, 22 ans après mon hivernage, j’ai eu tout un flot d’images qui me sont revenues en mémoire, et cela m’a comme projeté en arrière dans le temps car ici, le décor n’a pas changé. C’est un sentiment très fort, émotionnellement parlant.
Un autre souvenir plutôt surprenant : je me rappelle que pendant la période hivernale, on ne voit pas ou rarement le soleil ; et puis un jour, vers octobre ou novembre, les journées ensoleillées reviennent et avec elles, lorsque l’on marche, on redécouvre que l’on a une ombre qui nous suit, ombre qui avait disparu pendant l’hiver !
Une anecdote ?
Un jour, lors de l’hivernage, j’ai accompagné le géologue de l’époque sur le terrain. On devait aller échantillonner dans le Val Gabbro. Nous marchions, attentif au vent qui arrivait dans une certaine direction sur notre visage. Puis le brouillard est tombé ; nous poursuivions notre marche avec le vent que nous sentions sur nous dans cette même direction. Mais au bout d’une heure, nous nous sommes rendu compte que nous avions avait fait demi-tour et que nous étions presque revenus à notre point de départ, car le vent avait tourné !
Une chose très similaire s’est produite à l’occasion d’une sortie en chaland tôt le matin, un jour de brume. A cause des modifications du champ magnétique, le bosco, qui suivait sa route en se fiant à son compas, a suivi un mauvais cap. Nous nous en sommes rendus compte lorsque le soleil est apparu face à nous alors que nous étions partis le soleil dans le dos : nous avions une fois encore fait demi-tour sans nous en apercevoir !


lundi 12 février 2018

La première fête de Kerguelen


Le 12 Février 2018, nous avons inauguré la première fête de Kerguelen. Comme pour de nombreux villages de France, une journée est maintenant dédiée à notre archipel.




Cette date a été choisi car elle correspond au jour de la découverte de l’île par Yves-Joseph de Kerguelen de Trémarec, en 1773. Le lendemain, une des chaloupes du gros ventre mettra pieds à terre dans à l’Anse du Gros Ventre, péninsule Rallier du Baty.










En souvenir de ce jour et selon la tradition, les missionnaires 68 ont laissé un message dans une bouteille cachetée à la cire pour la mission 69…à ouvrir le 12 Février 2019 !

Photos de la faune de Mayes, par Carine

Albatros fuligineux


Gorfous sauteurs





Sterne de Kerguelen

samedi 10 février 2018

Evolution de la colonisation de Kerguelen par les salmonidés

Programme SALMEVOEL – IPEV 1041
L’écologie évolutive de la colonisation des iles Kerguelen par les salmonidés
Philippe Gaudin et Jacques Labonne (Umr Ecobiop, INRA-UPPA), Xavier Bordeleau (Dalhousie University) – collaboration internationale, et Clément Rio (Ecole d’ingénieur de Purpan).


L’écologie Evolutive

L’écologie évolutive s’attache à décrire et comprendre la variabilité et l’évolution des écosystèmes en terme de : dynamique et démographie des populations, évolution des traits de vie (croissance, maturation sexuelle…), évolution des comportements, évolution des relations entre espèce, évolution des réseaux trophiques (chaines alimentaires).

Les introductions de salmonidés aux iles Kerguelen
L’introduction des salmonidés date des années 50 pour « rendre plus hospitalières des terres vierges ». Ce travail acharné a duré 40 ans, de 1952 à 1992 avec :
22 importations,
2 millions d’individus,
8 espèces de salmonidés,
23 bassins versants peuplés par des salmonidés


Collection des salmonidés de Kerguelen
Aujourd’hui, le laboratoire ECOBIOP (INRA/Université de Pau) possède une collection de près de 150 000 contacts avec les salmonidés de Kerguelen (dont plus de 60 000 truites (Salmo trutta) comprenant des informations sur leurs localisation, poids et mesures, ainsi que des prélèvements d’écailles et parfois d’autres tissus.
Cette base de données est unique au monde car cette introduction est la seule dont on connaît bien les origines et qui a bénéficié d’un suivi aussi précis. Une synthèse a été établie à partir de tous ces échantillons pour connaître les origines de poissons, les dates d’introduction, les rivières, les réussites ou échecs etc.…
(Cf. Rapport 2012 en ligne sur le site de l’IPEV et publications d’ECOBIOP).


Bilan de la présence des salmonidés en 2010
A partir de 1955, la truite (Salmo trutta) a été introduite dans 12 ou 13 sites. Elle s’est implanté avec succès dans 10 bassins versants et en avait colonisé 32 nouveaux en 2010, la truite était donc présente dans 42 bassins versants. En 2018, elle a colonisé 5 bassins versants supplémentaires et fait l’objet d’autres signalements qui restent à confirmer.
Le saumon de fontaine (Salvelinus fontinalis) est présent dans 11 rivières,
Le saumon coho (Oncorhynchus kisutch), un saumon du Pacifique, est présent sur 2 bassins versants.
Le saumon atlantique (Salmo salar) n’est présent que dans un seul bassin.
L’omble chevalier (Salvelinus alpinus) n’est présent que dans le lac des Fougères
Les 3 autres espèces : la truite arc en ciel (Onchorhychus mikiss), le Touladi ou Christivomer (Salvelinus namaykush) et le saumon rose (Oncorhynchus tshawitsha)  ne se sont pas implantées.

Les salmonidés : eau douce ou eau salée ?
Tous les salmonidés à part de rares exceptions ont la capacité de migrer en mer, mais ils n’expriment pas toujours ce comportement. Ils ont donc une capacité à passer de l’eau douce à l’eau salée et inversement. Ces changements de milieu impliquent des changements physiologiques très importants. En eau douce, moins salée que leur milieu intérieur, les poissons absorbent passivement de l’eau, principalement par leurs branchies. Ils doivent donc évacuer cet excédent via leurs urines. En revanche, ils perdent passivement de l’eau lorsqu’ils sont en mer et doivent boire en forte quantité pour compenser ce déficit. Ces changements de milieu de vie impliquent une inversion de leur osmo-régulation. Les modifications hormonales qui permettent cette inversion s’accompagnent d’un changement de robe qui devient argentée et est mieux adaptée au milieu marin, en particulier quant au risque de prédation.

Le cycle de vie de la truite
A Kerguelen, la ponte a lieu en Juin/Juillet. Les femelles creusent un nid dans le gravier. Lors de la ponte, mâle et femelle émettent simultanément leurs produits génitaux pour féconder les œufs. Ensuite, la femelle les recouvre rapidement de graviers afin de les protéger. Durant cette phase, les mâles peuvent contribuer à la protection des œufs en chassant les poissons qui cherchent à les manger. Une fois recouverte de graviers, la ponte est très rapidement abandonnée.
Les alevins naissent en Septembre/Octobre, passent 2 à 3 mois sous les graviers, puis sortent en eau libre en Décembre, lorsque leurs réserves sont épuisées. Tous passent 2 à 3 ans en eau douce. Ensuite, les juvéniles  choisissent de rester en eau douce ou de faire des allers-retours en mer.

S’ils vivent en eau douce, ils atteindront une taille d’environ 30/40cm, voire plus lorsqu’ils rejoignent un lac. S’ils ont choisi la migration marine, ils font leur première maturation sexuelle après quelques années en mer (1 à 3 ans). Ils retournent en eau douce pour se reproduire, puis répètent régulièrement ces allers-retours entre la mer et l’eau douce. C’est dans ce milieu qu’ils ont la meilleure croissance grâce à une nourriture abondante. Des individus de 50 à 70cm de long sont fréquemment observés. Certains peuvent atteindre 80 à 90cm. Les poissons de plus de 90cm sont assez rares.

Recherches en cours pour le programme SALMEVOL – IPEV 1041
Le projet SALMEVOL a été initié en 2007 par l’UMR ECOBIOP et a débuté sur le terrain en 2009. Il porte sur l’écologie évolutive des salmonidés, dans le contexte particulier de la réussite de la colonisation des iles Kerguelen par certaines des espèces qui y ont été introduites il y a 60 ans. Son objectif est de documenter qualitativement et quantitativement la colonisation de nouveaux bassins versants par les salmonidés introduits et d'étudier les mécanismes pouvant expliquer la dynamique de ces invasions. L’expérience à grande échelle qui a été initiée par ces introductions est d’un intérêt majeur dans un contexte de réchauffement global et de recul très rapide des glaciers dans cette région subantarctique. Les formidables bases de données et d’échantillons recueillies de 1954 à nos jours permettent d’explorer quelques-unes des questions générale portant sur le succès des invasions biologiques, l’évolution et l’adaptation des espèces et leurs relations avec les changements rapides de leur environnement. La phase actuelle du programme SALMEVOL a débuté en 2015 et s’achèvera en 2019. Les parties du programme décrites ci-après sont celles qui ont fait l’objet de travaux à Kerguelen lors de la présente mission (68ème) :

Suivi de la colonisation de nouveaux bassins versants par les salmonidés (P.  Gaudin, ECOBIOP).
Les travaux consistent simplement en une prospection des sites susceptibles d’être colonisés et non explorés depuis plus de 10 ans, ou jamais explorés par SALMEVOL. Les travaux sont réalisés par pêche électrique, ou à la ligne dans les zones trop profondes ou saumâtres. La présence d’alevins et de juvéniles est le critère permettant de considérer une rivière comme «colonisée». Les rivières ou seules des truites de mer ont été observées sont considérées comme «visitées». Lors de la présente campagne, nous avons exploré les rivières situées à l’Ouest du front de colonisation : de la Clarée à la rivière de la plaine de Dante pour le Sud et de la Valfroide (vallée des Merveilles) au Val des Entrelacs (baie de la Marne) pour le Nord.

Mélange de pools géniques sur le front de colonisation au niveau intra et interspécifique (J. Labonne, ECOBIOP ; E. Garcia-Vasquez, univ Oviedo).
. Niveau interspécifique : La famille des salmonidés à la possibilité de produire naturellement des hybrides entre certaines espèces. Cette situation existe sur 2 sites à Kerguelen : pour le genre Salmo (trutta et salar) dans le lac Parsifal (bassin versant d’Armor) et pour le genre Salvelinus (alpinus et fontinalis) dans La Clarée. L’objectif de SALMEVOL est de chercher à savoir si ces cas d’hybridation s’achèvent au fil des reproductions avec l’éradication complète du génome de l’une des 2 espèces hybridées, ou si l’une voire les deux finissent par incorporer une partie de ce génome, conduisant à la construction d’une nouvelle diversité.
. Niveau intraspécifique : Une transplantation réciproque de truites (Salmo trutta) a été réalisée entre Val travers et La Clarée en 2010 afin de simuler l’arrivée d’individus d’une autre population dans une population bien établie (flux de gènes ponctuel). Des hybrides entre ces 2 populations ont été observés dès la 1ère génération. L’objectif est maintenant de suivre régulièrement l’évolution des gènes transplantés dans ces 2 populations afin de tester l’hypothèse d’une vigueur hybride générée par ce nouveau mélange, par opposition à celle d’une forte adaptation locale qui contre sélectionnerait les gènes transplantés.
Les prélèvements sont réalisés par pêche électrique afin de capturer 240 individus par site, sur lesquels sont prélevés quelques écailles et un petit bout de nageoire sur lesquels seront réalisées nos analyses de laboratoire (détermination de l’âge, biologie moléculaire).

Comportement des truites en mer et exploration de rivières vierges en front de colonisation (Philippe Gaudin ;  Jan Grimsrud Davidsen, univ Trondheim ; Fred Whoriskey, univ Dalhousie).
Un premier modèle de colonisation par la truite de rivières vierges a été élaboré. Il est basé sur des connaissances dont nous disposons sur la biologie de la truite en rivière et son utilisation de cet environnement. Par contre, la vie en mer des truites reste mal connue, même dans son aire de distribution d’origine. Pour réaliser ce modèle, il a fallu formuler un certain nombre d’hypothèses sur ses déplacements en mer qu’il convient maintenant de valider. L’objectif est d’étudier comment les truites explorent de nouvelles rivières, question clef pour comprendre les mécanismes de la colonisation. La portée de ces travaux dépasse largement le cadre des îles Kerguelen. Ils permettront de prévoir ce qui se passera dans toutes les rivières qui ne vont pas tarder à se libérer des glaces dans l’hémisphère Nord. Les Îles Kerguelen constituent donc un laboratoire pour l’étude de l’impact des changements climatiques actuels sur l’évolution de la diversité biologique.
L’expérience de suivi en mer des comportements des truites de mer est en préparation depuis 2013. Le site de Val Travers et du Lac Bontemps (Baie Irlandaise), sur la côte Nord, a été sélectionné car il est en front Ouest de colonisation. L’ensemble de la zone d’étude s’étend de part et d’autre de ce site, du Val des Entrelacs (baie de la Marne) à la rivière Studer. L’objectif est de connaitre la fréquence des visites de rivières vierges et la fidélité au site d’origine. 
Une période de navigation de 4 jours a permis le déploiement de 50 récepteurs acoustiques. Ces appareils, de la taille d’une bouteille d’eau minérale, sont arrimés à un corps mort de 50 kg et reliés à 2 bouées par 3m de corde, ce qui leur permet d’être dressés verticalement dans l’eau. Ils sont immergés par 15 à 80m de fond et dispersés sur tous les estuaires sur 40km de côte. Ils enregistrent en continu les passages des truites équipées d’émetteurs acoustiques qui envoient toutes les 60 à 90 secondes un « bip » indiquant son identité ainsi que la salinité et la température de l’eau elle se trouve. La portée de ces émetteurs est d’environ 500m. Les récepteurs doivent donc être judicieusement positionnés afin de nous indiquer quand les truites explorent de nouvelles rivières et le temps qu’elles y passent. L’an prochain, pour les récupérer et recueillir les informations qu’ils auront stockées, nous n’aurons qu’à leur envoyer depuis la surface un signal acoustique déclenchant un mécanisme de largage et permettant à l’ensemble bouée-récepteur de remonter à la surface. 

Les truites ont été capturées à la ligne dans l’émissaire du Lac Bontemps où elles séjournent en Février pour remonter dans le lac et rejoindre la rivière en amont du lac. Chaque fois qu’une truite était capturée, il fallait immédiatement réaliser une prise de sang et passer le prélèvement à la centrifugeuse pour séparer le sérum et les globules rouges en vue d’analyses physiologiques et génétiques ultérieures. L’ensemble était immédiatement congelé dans l’azote liquide. La truite était ensuite anesthésiée et l’émetteur était implanté sur son dos, sous sa nageoire dorsale. Après son réveil, elle était libérée. Ces opérations ont été réalisées entre le 28 janvier et le 10 février.

La 1ère partie de cette expérience est achevée. Cette réussite doit beaucoup à la qualité de l’ensemble du support logistique et financier dont ce projet a bénéficié, par le Réserve Naturelle de TAF, par l’IPEV, l’Ocean Tracking Network (Halifax, Canada) et le NTNU de Trondheim (Norvège), avec une mention particulière pour l’efficacité et le professionnalisme de l’équipage de La Curieuse qui a assuré le déploiement des récepteurs.



Il reste maintenant à réussir la seconde partie dédiée à la récupération des récepteurs en janvier 2019.
Cabane de Bontemps

Principaux participants au programme Salmevol :
INRA, UMR ECOBIOP
IPEV
Université de Pau : Fédération MIRA (UMR IPREM)
Université de Rennes, UMR ESE Rennes
Réserve Nationale Naturelle des TAAF
Université d’Oviedo, Espagne
Université MacGill, Montreal, Canada
Université Dalhousie, Halifax, Canada
Ocean Tracking Network, Halifax, Canada
NTNU, Trondheim, Norvège.

 Article écrit avec Philippe Gaudin.
Photos de Armand Patoir.